11 juin 2013
volant
Tout se passe vraiment à une heure indéterminée de la nuit.
Sur la table descend une lampe très grasse, éclairant les visages de manière très ronde. Les visages eux-mêmes, très marqués. Ca veut pas dire fatigués. Ca veut dire, le temps d’abord et avant toute chose, mais aussi le vent, mais aussi le poids des enfants et l’héritage des vieux. La lampe éclaire en biais, d’un trait fourbe, la face des quatre gitans, finissant du même coup de langue, la discussion et la bouteille.
Elle, elle est dans la pièce à côté. Qu’aucune porte ne sépare. Elle découpe dans un large pan de tissu, des rectangles de la taille d’un dos. Puis elle rabat les bords, et les coud sur eux-mêmes, lentement, elle a vingt ans, je pense, pas beaucoup plus.
L’un des hommes quitte la table et viens vers elle. Il lui parle du prix du tissu, lui dit que ça l’intéresse, le bleu, et le jaune aussi, le molletonné, ça l’intéresse. Il lui demande pourquoi elle coud tous les soirs. Il lui demande dans un mélange de remontrance et d’érotisme. Pourquoi je couds tous les soirs ? reprend-elle pour gagner du temps. Il fait oui de la tête.
Alors elle va vers le lit qui est très haut. Elle tire vers elle d’imposants tiroirs, elle semble avoir besoin de force pour le faire. C’est irréel, cette force dont elle dispose soudain. Dans les bacs de bois dorment d’un si gracieux et lourd sommeil des chevaux alezan. Ils sont sublimes, respirent lentement. Elle répond.
Je couds tous les soirs, car un jour ils seront prêts. Moi aussi. Et je veux pour leurs dos, pour notre course, pour ce jour là, pour moi, pour eux, pour notre escalade des airs, les plus des tapis.
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