16 septembre 2010
les deux font la paire
On mentirait en disant qu’on ne les avait pas remarqué. On ne voit qu’eux. La scène n’a plus d’âge. Lui 14 ans et elle presque treize. Ils sont assis sur un bloc de béton gris tacheté. Des baskets multicolores et rebondissantes leur pendent aux chevilles. Ils font semblant de parler d’autre chose. Se taquinent, se moquent des passants :
- t’as vu celui-là avec sa barbichette et ses lunettes façon laboratoire, ma parole on dirait l’père de Pinocchio !
Heureusement qu’il y a les passants... On se dit quoi déjà à la place des vrais mots ? Il lui raconte les derniers coups qu’il a fait avec sa petite bande d’apprentis voyous, y met les gestes et les gros mots. Elle fait semblant d’être impressionnée, balance de façon irrégulière ses deux pieds dans le vide, se gratte le cou, l’oreille, la joue, le sourcil, renifle. Elle ronge ses ongles mal peints et fais des petits dessins avec sa clef rouillée sur la croute de béton gris.
Tout à l’heure, il lui demandera à quoi elle pense, et elle répondra qu’elle pense à rien, pourquoi ?
Tout autour d’eux les immeubles attrapent ce qu’il reste de lumière en cet après midi d’automne. Quelques femmes se disputent les nouvelles du jour près des boîtes aux lettres un peu plus loin. Et quelques enfants font mine de ne pas s’ennuyer. Lorsque le silence les assomme tous les deux, il sortent un téléphone, un truc à tripoter, regardent ailleurs, regardent les arbres. Ici c’est la cité des Tilleuls, c’est joli comme nom pour un rendez-vous…
Oui mais c’est pas un rendez-vous.
Il sort de sa poche un petit walkman dont il semble très fier, gagne du temps en démêlant les fils des écouteurs. S’approche un peu d’elle pour lui glisser une oreillette.
Il, 14 ans, lui demande à elle , bientôt 13, à quoi elle pense.
et elle, bientôt treize, elle dit qu’elle pense à rien, pourquoi ?
13:39 | Lien permanent | Commentaires (10)
Commentaires
"Fraîchement diplômée de l’Ecole des hautes études en Sciences Sociales pour ses recherches sur la transmission intergénérationnelle dans les familles immigrées"
Vous vivez dans quelle cité exactement : parce qu'on imagine pas, avec un tel sujet, que vous n'y viviez pas...
Écrit par : toto | 19 septembre 2010
étrange comme question... j'ai en effet trainé mes savates dans quelques unes : banlieue sud, banlieue nord est de Paris. Mais je suis convaincue que le sujet traverse toutes les cités de France et de Navarre et bien au delà d'ailleurs. Je n'ai pas fini d'y réfléchir, et je ne renonce pas à l'idée de terminer ma thèse à ce sujet !
Écrit par : mariemarie | 20 septembre 2010
Je conduis lentement, le régulateur est en enclenché, l’obscurité m’entoure et je savoure cette pleine solitude cotonneuse. La voix qui me parle est si proche de moi que chaque syllabe se détache et j’entends presque le mouvement de la langue et le léger claquement des lèvres au contact du micro, chuchoté pour moi, murmuré pour m’accompagner en amie. Je conduis et la torpeur m’enlace en même temps qu’un détachement agréable, une inattention à la lisière du danger, comme peut l’être une lecture imprécise ou doublée d’autres pensées alors même que les lignes s’enchaînent, parcourues mais ignorées. La route se mêle à mes pensées et mon écoute de la voix est si totale que mon regard embrasse le paysage et le vide de sa réalité pour le remplir de cette harmonie que j’entends. La voiture glisse en douceur et ses imperceptibles mouvements me bercent en chœur avec cette voix, indispensable, magique, particulière au point qu’elle m’émeut par sa grâce. Polaroïd. Ma friandise et le moment attendu, délecté, retenu si possible. Je sais qu’elle n’est plus là que pour quelques minutes, cette voix, qu’elle va s’évanouir bientôt pour laisser place à d’autres, qui elles me ramèneront à la réalité de mon trajet, au jour qui précise les formes autour de moi. Merci à cette très précieuse et délicate voix de m'accompagner chaque matin.
Écrit par : Jeanne | 20 septembre 2010
C'est aussi émouvant que troublant de lire un pareil message... C'est nous qui vous remercions Jeanne de partager ce petit jour, sur la route qui plus est, tous les matins par les ondes ...
Le jour se lève près de la maison de la radio. Peut être se lève-t-il pour vous aussi. Profitons-en.
De grâce soyez prudente en conduisant........................ je n'en soignerai que plus l'écriture de mes Polaroïds.
Écrit par : mariemarie | 21 septembre 2010
"Il sort de sa poche un petit walkman..."
Un walkman... J'adore.
Merci pour ces textes.
Écrit par : Nc. | 26 septembre 2010
oui parce qu'à choisir le walkman sonne dix fois mieux que l'Ipod non... ?
merci à vous pour l'attentive lecture...
m¨
Écrit par : mariemarie | 27 septembre 2010
Oui. Dix fois.
Dans le mien tournait en boucle All Cats Are Grey...
La journée a bien commencé.
Merci :)
-
Nc.
Écrit par : Nc. | 27 septembre 2010
Et comme c'est un grand jour, et qu'il faut le dire, même si c'est à une parfaite inconnue, surtout parce qu'elle est si chère à vos (mes, en l'occurrence) oreilles, merci pour la musique du jour, les mots du jour, les mots sur la musique, la musique sur les mots. C'était trop rapide ce matin, les images venaient après s'imprimer dans mon esprit, après les syllabes, après la voix; le vocabulaire peut-être, touffu, ou la fatigue encore, la mienne, qui faisait que ça n'imprimait pas tout de suite, mais en léger différé. Mais même sans comprendre tout tout de suite, c'était très beau. Très très touchante, aussi, votre émotion peu après, cet aperçu d'intimité partagée avec nous tous, dans nos bulles, voitures, maisons, lits. On s'y croyait, et je souriais en choeur avec vos complices matinaux. Quoi de plus précieux qu'un sourire presque rire de si bon matin?
Merci, c'est très précieux, ça.
Et Joyeux anniversaire.
Jeanne
Écrit par : Jeanne | 27 septembre 2010
Pour les pola, j'ai pensé à vous et j'ai fait plus lent les jours d'après...
Merci infiniment Jeanne pour votre petit mot d'anniversaire. Je suis née à 6h35, nous étions donc parfaitement en accord l'horloge et moi lundi dernier.
Ravie de vous savoir souriante derrière votre poste, c'est précieux ça aussi.
m
Écrit par : mariemarie | 30 septembre 2010
Oui, j'ai remarqué, ce ralentissement sensible dans le débit. Merci, j'ai été très touchée, avant même d'en avoir confirmation ici. Rarement j'aurai pu dire auparavant, avec une telle certitude de ne pas être déçue: vivement demain matin 6h et quelques...
Jeanne
Écrit par : Jeanne | 30 septembre 2010
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