18 juillet 2013
cahier du retour. extrait.
Je suis deux, nous sommes deux quand nous chantons. J’étais deux déjà quand je chantais et figure toi que j’en pleurais à l’époque et ne connaissais pas qu’être deux c’est chanter bien plus juste et précis. Bien plus profondément, et obscurément dans la vie.
On creuse le trou noir quand on chante à deux, et le noir devient brillant comme les très beaux tableaux qui y parviennent. Ne plus attendre c’est être dans ce trou sublime. Ne plus attendre et prendre la route du parvis de la bibliothèque les soirs où la Sibérie souffle sur Paris.
Tu vois comment c’est, quand les gens partent et que l’on a pleuré leur départ avant même qu’ils se soient envolés. Pleuré devant des yeux qui restaient devant des yeux qui restaient devant.
Tu vois comment c’est, se retrouver seul dans un appartement devient délicieux de calme, mais le calme n’est vrai que parce qu’être deux est plus facilement vrai que n’être rien. Chanter c’est entendre comme la voix qu’on a cogne doucement contre les poumons de l’autre, de l'autre en soi, de l'autre devant, et c’est réaliser dans toute son étrangeté que l’on est bien dans ce monde. La chance que l’on a, d’être bien dans le monde. Qui dit bien ne dit pas confortable, qui dit bien, dit vraiment, et vraiment n’est plus alors le mot beaucoup trop prononcé. Vraiment retrouve alors sa lumière froide d’un grand mot plat. On est vraiment dans le monde. Et c’est géant comme la plaine. Et c’est géant comme le noir peut l’être. Et c’est plat comme c’est impénétrable et que l’on marche dessus comme on marche, contre le vent, les soirs de bibliothèque où la Sibérie souffle sur Paris.
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme
11:41 | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
Marie, vous êtes toujours au moins deux n'est-ce-pas, avec ce "on" qui vous colle si bien à la bouche ?
Et dans la solitude, dans l'emploi du pronom "on", il y a au moins l'universalité.
Écrit par : ACC | 18 juillet 2013
Ce double je. Ce je qui vous suit. Ce je qui vous écoute. Ce je qui ne joue pas. Ce je auquel on a le droit. Ce je c'est toi. l'autre aussi. Je veut. Je peut.
Écrit par : Lëti | 19 juillet 2013
A-t-on l'universalité par le on ? Et comment concilier cet universel et la solitude ? Une multiplication des je ne fait pas encore une communauté, mais une massification, un agrégat qui nous ôte les mots de la bouche, de laquelle il ne reste qu'en fin de souffle, les autres et soi. Etre en compagnie d'autant de solitaires ne nous soude pas, ni heureusement n'exclut, mais fige.
Écrit par : hr | 27 juillet 2013
HR > Je ne suis pas du tout d'accord avec cette dernière assertion : "Etre en compagnie d'autant de solitaires ne nous soude pas, ni heureusement n'exclut, mais fige."
Moi j'aime les solitaires en écriture et me retrouve dans leurs mots, pour n'en citer que deux : Philippe Forest, Camille Laurens. Evidemment dire "je" n'est pas privé le lecteur d'une bonne identification. Les mots de ces auteurs m'ont fait avancer et retirer ces parts de moi-même qui m'encombraient, comme en parle Camille Laurens dans L'amour, roman.
Écrit par : ACC | 28 juillet 2013
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