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24 juillet 2016

- mille et une vies

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Commentaires

Je viens de lire la quatrième de couverture de l'ouvrage de Deligny que vous avez mis en référence sur votre blog (et que j'ai donc commandé par curiosité "scientifique") et là bing: "Et l'humain alors apparaît comme étant ce qui reste, quelque peu en lambeaux, de l'arachnéen traversé par cette espèce de météorite aveugle qu'est la conscience".
Par delà la tonalité un brin mélancolique de l'assertion, c'est d'abord l'image de la météorite aveugle qui m'intéresse: reste d'une explosion omnidirectionnelle, engagé sur une trajectoire cosmique. "Mon terroir c'est des galaxies" dirait Julos Beaucarne.
Merci pour ces "liens qui libèrent" sur votre blog comme dans votre émission.

Écrit par : Francois | 05 août 2016

Rien n’est jamais plus beau qu’une touriste blonde

Qu’interviouwent des télés nipponnes ou bavaroises

Juste avant que sa tête dans la jungle ne tombe

Sous la hache d’un pirate aux façons très courtoises



Elle était bête et triste et crédule et confiante

Elle n’avait du monde qu’une vision rassurante

Elle se figurait que dans toutes les régions

Règne le sacro-saint principe de précaution



Point de lieu à la ronde qui ne fût excursion

Rien ici ou là-bas qui ne fût évasion

Pour elle les pays étaient terres de passion

Et de révélation et de consolation



Pour elle les pays étaient terres de loisirs

Pour elles les pays n’étaient que communion

On en avait banni les dernières séditions

Pour elle toutes les terres étaient terres de plaisir



Pour elle les nations étaient lieux d’élection

Pour elle les nations n’étaient que distraction

Pour elle les nations étaient bénédiction

D’un bout du monde à l’autre et sans distinction



Toute petite elle disait avoir été violée

Par son oncle et son père et par un autre encore

Mais elle dut attendre ses trente et un balais

Pour revoir brusquement ce souvenir éclore



Elle avait terminé son second CDD

Mais elle envisageait d’autres solutions

Elle voulait travailler dans l’animation

Pour égayer ainsi nos fêtes de fin d’année



Elle cherchait à présent et pour un prix modique

À faire partout régner la convivialité

Comme disent les conseils en publicité

Elle se qualifiait d’intervenante civique



Elle avait pris contact avec plusieurs agences

Et des professionnels de la chaude ambiance

Elle était depuis peu amie d’un vrai artiste

Musicien citoyen jongleur équilibriste



Grand organisateur de joyeuses sarabandes

Le mercredi midi et aussi le samedi

Pour la satisfaction des boutiques Godassland

Créateur d’escarpins cubistes et nabis



Elle aussi s’entraînait à des tours rigolos

En lançant dans les airs ses propres godillots

Baskets bi-matières à semelles crantées

Les messages passent mieux quand on s’est bien marré



Au ministère social des Instances drolatiques

Elle avait exercé à titre de stagiaire

L’emploi de boîte vocale précaire et temporaire

Elle en avait gardé un souvenir érotique



Elle avait également durant quelques semaines

Remplacé une hôtese de chez Valeurs humaines

Filiale fondamentale de Commerce équitable

Où l’on vend seulement des objets responsables



Elle avait découvert le marketing éthique

La joie de proposer des cadeaux atypiques

Fabriqués dans les règles de l’art humanitaire

Et selon les valeurs les plus égalitaires



Tee-shirts Andrée Putman et gabardines de Storck

Et pendentifs Garouste et pochettes d’Aristorque

Soquettes respectueuses amulettes charitables

Objets de toutes sortes et toujours admirables



Étoles alternatives et broches-tolérance

Et bracelets-vertu et tissus-complaisance

Et blousons-gentillesse et culottes-bienveillance

Consommation-plaisir et supplément de sens



Café labellisé bio-humanisé

Petits poulets de grain ayant accès au pré

Robes du Bangladesh jus d’orange allégé

Connotation manouche complètement décalée



Sans vouloir devenir une vraie théoricienne

Elle savait maintenant qu’on peut acheter plus juste

Et que l’on doit avoir une approche citoyenne

De tout ce qui se vend et surtout se déguste



Et qu’il faut exiger sans cesse et sans ambages

La transparence totale dedans l’étiquetage

Comme dans le tourisme une pointilleuse éthique

Transformant celui-ci en poème idyllique



À ce prix seulement loin des sentiers battus

Du vieux consumérisme passif et vermoulu

Sort-on de l’archaïque rôle de consommateur

Pour s’affirmer enfin vraiment consommateur



Elle faisait un peu de gnose le soir venu

Lorsqu’après le travail elle se mettait toute nue

Et qu’ayant commandé des sushis sur le Net

Elle les grignotait assise sur la moquette



Ou bien elle regardait un film sur Canal-Plus

Ou bien elle repensait à ses anciens amants

Ou bien elle s’asseyait droit devant son écran

Et envoyait des mails à des tas d’inconnus



Elle disait je t’embr@sse elle disait je t’enl@ce

Elle faisait grand usage de la touche arobase

Elle s’exprimait alors avec beaucoup d’audace

Elle se trouvait alors aux frontières de l’extase



Dans le métro souvent elle lisait Coelho

Ou bien encore Pennac et puis Christine Angot

Elle les trouvait violents étranges et dérangeants

Brutalement provocants simplement émouvants



Elle aimait que les livres soient de la dynamite

Qu’ils ruinent en se jouant jusqu’au dernier des mythes

Ou bien les reconstruisent avec un certain faste

Elle aimait les auteurs vraiment iconoclastes



Elle voulait trois bébés ou même peut-être quatre

Mais elle cherchait encore l’idéal géniteur

Elle n’avait jusqu’ici connu que des farceurs

Des misogynes extrêmes ou bien d’odieux bellâtres



Des machistes ordinaires ou extraordinaires

Des sexistes-populistes très salement vulgaires

Des cyniques égoïstes des libertins folâtres

Ou bien des arnaqueurs elle la trouvait saumâtre



Elle se voyait déjà mère d’élèves impliquée

Dans tous les collectifs éducatifs possibles

Et harcelant les maîtres les plus irréductibles

Conservateurs pourris salement encroûtés



Qui se cachent derrière leur prétendu savoir

Faute d’appréhender un monde en mutation

Qui sans doute a pour eux l’allure d’un repoussoir

Quand il offre à nos yeux tant de délectations



Comme toutes les radasses et toutes les pétasses

Comme toutes les grognasses et toutes les bécasses

Elle adorait bien sûr Marguerite Duras

De cette vieille carcasse elle n’était jamais lasse



Elle s’appelait Praline mais détestait son nom

Elle voulait qu’on l’appelle Églantine ou Sabine

Ou bien encore Ondine ou même Victorine

Ou plutôt Proserpine elle trouvait ça mignon



Elle faisait un peu de voile et d’escalade

Elle y mettait l’ardeur qu’on mettait aux croisades

Elle se précipitait sous n’importe quelle cascade

Elle recherchait partout des buts de promenade



Chaque fois qu’elle sortait avec une copine

Elle se maquillait avec beaucoup de soin

Soutien-gorge pigeonnant et perruque platine

Encore un coup de blush pour rehausser son teint



Orange fruité Fard Pastèque de chez Guerlain

Bottines en élasthane blouson cintré zippé

Sac pochette matelassé et bracelet clouté

Ou alors pour l’hiver une une veste en poulain



Ou un top manches fendues en jersey de viscose

Jupe taille élastiquée en voile de Lurex

Tunique vietnamienne décorée de passeroses

Sans rien dessous bien sûr pas même un cache-sexe



Elle disait qu’il fallait réinventer la vie

Que c’était le devoir d’un siècle commençant

Après toutes les horreurs du siècle finissant

Là-dedans elle s’était déjà bien investie



De temps en temps chez elle rue des Patibulaires

Elle mobilisait certains colocataires

Afin d’organiser des séances de colère

Contre l’immobilisme et les réactionnaires



Elle exigeait aussi une piste pour rolliers

Deux ou trois restaurants à thème fédérateur

L’installation du câble et d’un Mur de l’Amour

Où l’on pourrait écrire je t’aime sans détour



Elle réclamait enfin des gestes exemplaires

D’abord l’expulsion d’un vieux retardataire

Puis la dénonciation du voisin buraliste

Dont les deux filles étaient contractuelles lepénistes



Le Jour de la Fierté du patrimoine français

Quand on ouvre les portes des antiques palais

Elle se chargeait d’abord de bien vérifier

Qu’il ne manquait nulle part d’accès handicapés



Qu’il ne manquait nulle part d’entrées Spécial Grossesse

Qu’il ne manquait nulle part d’entrées Spécial Tendresse

Qu’on avait bien prévu des zones anti-détresse

Qu’il y avait partout des hôtesses-gentillesse



Faute de se faire percer plus souvent la forêt

Elle avait fait piercer les bouts de ses deux seins

Par un très beau pierceur sans nul doute canadien

Qui des règles d’hygiène avait un grand respect



Avec lui aucun risque d’avoir l’hépatite B

Elle ne voulait pas laisser son corps en friche

Comme font trop souvent tant de gens qui s’en fichent

Elle pensait que nos corps doivent être désherbés



Elle croyait à l’avenir des implants en titane

Phéromones synthétiques pour de nouveaux organes

Elle approuvait tous ceux qui aujourd’hui claironnent

Des lendemains qui greffent et qui liposuccionnent



Elle avait découvert le théâtre de rues

Depuis ce moment-là elle ne fumait plus

Elle pouvait à nouveau courir sans s’essouffler

Elle n’avait plus honte maintenant de s’exhiber



Elle attendait tout de même son cancer du poumon

Dans dix ou quinze années sans se faire trop de mouron

Elle préparait déjà le procès tâtillon

Qu’elle intenterait alors aux fabricants de poison



Faute de posséder quelque part un lopin

Elle s’était sur le Web fait son cybergarden

Rempli de fleurs sauvages embaumé de pollen

Elle était cyberconne et elle votait Jospin



Elle avait parcouru l’Inde le Japon la Chine

La Grèce l’Argentine et puis la Palestine

Mais elle refusait de se rendre en Iran

Du moins tant que les femmes y seraient mises au ban



L’agence Operator de l’avenue du Maine

Proposait des circuits vraiment époustouflants

Elle en avait relevé près d’une quarantaine

Qui lui apparaissaient plus que galvanisants



On lui avait parlé d’un week-end découverte

Sur l’emplacement même de l’antique Atlantide

On avait évoqué une semaine à Bizerte

Un pique-nique à Beyrouth ou encore en Floride



On l’avait alléchée avec d’autres projets

Une saison en enfer un été meurtrier

Un voyage en Hollande ou au bout de la nuit

Un séjour de trois heures en pleine Amazonie



Cinq semaines en ballon ou sur un bateau ivre

À jouir de voir partout tant de lumières exquises

Ou encore quinze jours seule sur la banquise

Avec les ours blancs pour apprendre à survivre



Une randonnée pédestre dans l’ancienne

Arcadie Un réveillon surprise en pleine France moisie

Une soirée rap dans le Bélouchistan profond

Le Mexique en traîneau un week-end à Mâcon



Elle est morte un matin sur l’île de Tralâlâ

Des mains d’un islamiste anciennement franciscain

Prétendu insurgé et supposé mutin

Qui la viola deux fois puis la décapita



C’était une touriste qui se voulait rebelle

Lui était terroriste et se rêvait touriste

Et tous les deux étaient des altermondialistes

Leurs différences mêmes n’étaient que virtuelles.



Tombeau pour une touriste innocente (Philippe Muray)

Écrit par : alexeï | 06 août 2016

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