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22 février 2011

A LA REGLE, L'EXCEPTION / ARTICLE 1

Nous ne supportons plus la durée. Nous ne savons plus féconder l’ennui.


Je rentre de Rennes, je trouve ce petit texte de Paul Valery sur l’Etat de l’intelligence, qui oserait ? [1]
C’est supporter la durée qui m’interpelle, plus que tout ce qui est dit avant sur les excitations devenues des besoins, sans cesse renouvelées, augmentées. Plus que ce qui est dit sur le désordre, la surprise, la permanente turbulence. Ce qui est dit après, sur le diplôme l’enseignement, le savoir. Il a raison. Il avait raison- il écrit en 1936- mais j’ai intégré cela, ne me sens pas d’en discuter de suite.

Je rentre de Rennes, donc, je trouve ce petit texte, je le lis. J’avais vu la veille The Show must go on de Jérôme Bel[2].


Pour faire rapide, car je pourrais faire long,

((je me suis surprise à raconter la pièce avec les gestes, en chantant les chansons à Jacques samedi soir, dans le brouhaha, pendant au moins un quart d’heure. Jacques a bien aimé cependant. ))


Pour faire rapide donc : vingt danseurs sur scène, amateurs, rennais, en tenue de ville, voire de maison. Dansant littéralement sur la musique. Faisant (et non interprétant) ce que disent les paroles, comme ça, au pied de la lettre. Ils n’ont pas l’air d’en savoir plus que nous, le quatrième mur semblant être tombé pour l’occasion. Hum.
Un disc jockey, met et enlève des disques d’une chaine hifi, avec le son du chargeur qui est emblématique de toute mon adolescence. Ainsi que le son du doigt qui cherche la bonne piste (touche skip). C’est indescriptible mais ceux qui savent, savent.
Le disc jockey est toujours visible. Il est dans l’orchestre, il est avec nous. Nous connaissons toutes les chansons qu’il passe ( Beatles, Air, Titanic, Macarena, j’en passe ) Vient une irrépressible envie de taper du pied, des mains, de chanter, envie qui n’est progressivement plus réprimée du tout, si bien que l’Opéra rennais tout entier, sous la voute peinte, reprend Simon and Garfunkel comme s’il partageait un même canapé.

Quelques codes sont fusillés (ou soulignés) au passage. Le public applaudit lorsque la chanson est terminée, pendant que le disc jockey change de disque, ouvre-ferme les boîtiers. C’est important que l’on entende cela. C’est la boum. Ça veut faire croire que c’est la boum. Mais c’est aussi la boum.

Sur scène, une fois que l’on a compris de quoi il s’agit, rien ne se passe de profondément intéressant sur la durée. C’est à dire, la Macarena, on la connaît, et une fois que l’on a vu les danseurs bouger la même partie de leur corps durant une minute, on les a vu pendant trois. Ce n’est pas aussi simple mais presque. On pourrait se lasser.
Ce qui est intéressant justement, c’est la résistance à l’ennui. La façon dont on accepte de se prêter à ce jeu, en l’accentuant par les applaudissements, par le fait de se mettre à chanter. On le fait parce qu’on connaît la chanson. On sait qu’elle se termine dans trois minutes trente deux. On a compris que le disc jockey en mettra une autre, et que les danseurs se lanceront dans un nouveau geste simple. Et en cela on ne sera jamais trahi. C’est exactement comme cela que la pièce va se dérouler jusqu’au bout. Il n’y a aura pas d’entourloupe. La proposition est franche. Malgré le fait que des amateurs dansent. Malgré le fait que l ‘on puisse les considérer comme disgracieux, ou ne répondant pas à l’idée que l’on se fait du corps dansant (quand bien même cette idée soit très largement révolue, ne pas présenter des corps « dansants », habituellement « dansants », déclenche toujours un sourire surtout dans le cas d’un public novice). Malgré tout cela il n’y a pas de cynisme, peu ou pas d’ironie, pas de malice.

Il est donné à constater qu’un moment a eu lieu. Ce qui me semble être le propre de la rencontre entre une œuvre d’art et un public. Entre les deux endroits, existe un espace commun où l’un et l’autre avancent, se déploient, s’expriment, indépendamment ou en liaison, c’est selon, mais c’est un espace temps qui est créé et qui permettra d’ailleurs l’ancrage de l’œuvre dans le souvenir, ou plus pompeusement dans l’histoire. C’est ce qui m’a permis de raconter à Jacques, et au-delà me permet d’y penser encore.

Ce qui advint vendredi soir à l’Opéra de Rennes relève de cela. De la définition du moment. Qui est plus un goût qu’un contour théorique, et que l’on pourra convoquer dans sa tête.

Il s’est passé aussi, que rien n’est resté immobile entre le début et la fin de cette représentation. Rien. Y compris l’air y compris la transpiration y compris les cordes vocales et plus précisément,
on a senti se frotter, les uns contre les autres, des rouages de représentations que l’on croyait parfaitement connaître – Bel nous place à la fois dans l’omniscience, mais dans l’illusion parfaite de cette omniscience,
et venir nous déranger à l’intérieur même de cette illusion de confort est encore plus talentueux.
Il chorégraphie en déplaçant des choses beaucoup moins légères qu’elles n’y paraissent. Et, semblant nous caresser dans le sens, poli et brillant, du poil collectif, il ne nous malmène pas, pas du tout (cela ne semble pas être sa posture) en revanche, cette caresse nous touche, beaucoup plus profondément que ce à quoi l’on s’attendait en se laissant caresser d’abord.

The show must go on, c’est aussi l’interdépendance mise à nu entre les interprètes et le public. Si vous ne dansez pas tout s’arrête. Et vous là bas, si vous ne regardez pas, si vous ne manifestez aucune réaction, tout s’arrête aussi. En l’occurrence c’est impossible. Personne ne veut, personne ne pourrait supporter que le spectacle s’arrête et ce sentiment va grandissant à mesure qu’une forme de complicité décente se créée entre les deux parties.

Cette dépendance c’est aussi celle que nous entretenons plus globalement avec le show. Que le public entend recrée en applaudissant et faisant le cirque. Le show et la pop, référence musicale ultra partagée, insatiable et naturel besoin de collectif, réelle ou apparente légèreté.

 


Et s’il y a quelque chose de très fort, c’est que sans mauvaise intention, Jérôme Bel laisse la place à la fécondation de l’ennui par le collectif. Il laisse les six cent quarante deux personnes de l’Opéra s’emparer de cela et en jouir. Sans leur retourner un méchant miroir sur le nez, en disant Regarde comme tu es pauvre, Regarde comme ta réaction est attendue et puérile, Regarde comme tu es si peu arty et contemporain.
Il n’est pas sans distance, c’est évident, mais il n’est pas sans dire non plus

que c’est beau.



[1] Paul Valery, Le bilan de l’intelligence, éditions Allia, 2011.

[2] The Show must go on, Jeroôme Bel, creation 2001. mussedeladanse.org,  jeromebel.fr

07 février 2011

éternue bordel

la liberté,
je reprends ça à mon compte, comme ça, gratos,
la liberté je la dois, allez marie, allez
je la dois à
allez marie nom de Dieu,
je la dois au caractère irréductible de

 

 

 

tu vois j'ai pas été jusqu'au bout.

01 février 2011

sans les pieds

Carrelage coulisse de la piscine olympique. A une heure exactement du début, Ça piaille :

Ok tu peux me passer la clé du vestiaire ?  Hortense c’est toi qui a récupéré les pinces ? Non j’ai pas les pinces, ok t ‘as la cire ou bien ? Non j’ai pas la cire ? Hortense tu peux me filer la brosse… Eh vous êtes toutes venues en touristes ou quoi ? Elles quittent le vestiaire. De nouveau Silence.

juste le bruit des douches, de l’eau qui coule sur leurs maillots. De la même couleur les maillots, de la même formes les chignons, de la même hauteur les jambes… à peu près. Certaines attrapent l’eau à la base du pommeau et l’accompagnent jusqu’à leurs joues qu’elles pressent. Elles la boivent et la recrachent à cause du chlore. Elles n’ouvrent plus les yeux. D’autres ne font aucun mouvement, les bras le long du flanc, les épaules tombantes ramollies par l’eau chaude. C’est un vrai silence. Concentré. Serré. Un silence étroit entre leurs seize ans à toutes. Aucune ne dépasse... Comme tout à l’heure dans l’eau elles font corps. Elles sont un. Elles plongeront en chœur sur la quatrième mesure du morceau. A ce moment, leurs pères, leurs mères, leurs frères, leurs cousines retiendront leurs respirations. L’eau ne rentrera pas dans leurs narines pincées par le plastique. Leur plongeon sera propre et net, la musique soulignera le mouvement. La surface aura le temps de se rétablir avant que leurs jambes, simplement leurs jambes, n’explosent à l’air libre formant une magnifique étoile. Alors les jambes disparaitront de nouveau et leurs épaules, leurs fines épaules surplombées des sourires mouillés, se lanceront dans une chorégraphie dont on peinera à croire qu’elle se danse là, où elles n’ont pas du tout pied.

rouge pour deux

Le bus vient de dépasser les quartiers touristiques de la ville. Il s’est vidé des apprentis photographes et autres familles polyglottes, et ne compte à bord que quelques vieilles dames se rendant aux courses et une dizaine d’étudiants entre deux dissertes. A l’avant, un homme et une femme se font face. Elle est assise dans le sens de la route. Lui, à rebours.
Elle sort de son sac une petite trousse en cuir et un tube de rouge à lèvres avec lequel elle entreprend soigneusement de se repeindre les lèvres. Le rouge carmin fait ressortir la pâleur hivernale de sa peau, puis ses yeux. Marron comme le bois brun…….. inondé de pluie.
Marron comme le fer ancien de la tour Eiffel. Marron comme des yeux. Un petit miroir de poche cache une partie de son visage, mais la vitre du bus la dévoile autrement. L’homme la dévisage. Son regard souligne les gestes qui eux mêmes soulignent les lèvres. La femme ferme dans un « clap » le miroir qu’elle glisse comme un billet dans la pochette en cuir. Avant qu’elle n’ait le temps d’en faire de même avec le bâton de rouge, l’homme hésitant, gigotant sur son siège : «  Vous permettez ? »
Après un léger sursaut, la femme regarde le bâton de rouge, regarde l’homme, regarde de nouveau le bâton, l’homme acquiesce timidement. La femme le lui tend, comme on offre un baiser, un chocolat. L’homme se retourne vers la vitre, s’en approche et recouvre lentement les lèvres qui rougissent  à leur tour. Fermant soigneusement l’ustensile il le rend. La femme le range dans la pochette, et la pochette dans le sac.
Les voilà tous les deux, face à face, les lèvres peintes de la même couleur, suivant du regard la ville qui se dérobe. Un léger pli fait sourire leurs joues.