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01 février 2011

sans les pieds

Carrelage coulisse de la piscine olympique. A une heure exactement du début, Ça piaille :

Ok tu peux me passer la clé du vestiaire ?  Hortense c’est toi qui a récupéré les pinces ? Non j’ai pas les pinces, ok t ‘as la cire ou bien ? Non j’ai pas la cire ? Hortense tu peux me filer la brosse… Eh vous êtes toutes venues en touristes ou quoi ? Elles quittent le vestiaire. De nouveau Silence.

juste le bruit des douches, de l’eau qui coule sur leurs maillots. De la même couleur les maillots, de la même formes les chignons, de la même hauteur les jambes… à peu près. Certaines attrapent l’eau à la base du pommeau et l’accompagnent jusqu’à leurs joues qu’elles pressent. Elles la boivent et la recrachent à cause du chlore. Elles n’ouvrent plus les yeux. D’autres ne font aucun mouvement, les bras le long du flanc, les épaules tombantes ramollies par l’eau chaude. C’est un vrai silence. Concentré. Serré. Un silence étroit entre leurs seize ans à toutes. Aucune ne dépasse... Comme tout à l’heure dans l’eau elles font corps. Elles sont un. Elles plongeront en chœur sur la quatrième mesure du morceau. A ce moment, leurs pères, leurs mères, leurs frères, leurs cousines retiendront leurs respirations. L’eau ne rentrera pas dans leurs narines pincées par le plastique. Leur plongeon sera propre et net, la musique soulignera le mouvement. La surface aura le temps de se rétablir avant que leurs jambes, simplement leurs jambes, n’explosent à l’air libre formant une magnifique étoile. Alors les jambes disparaitront de nouveau et leurs épaules, leurs fines épaules surplombées des sourires mouillés, se lanceront dans une chorégraphie dont on peinera à croire qu’elle se danse là, où elles n’ont pas du tout pied.

rouge pour deux

Le bus vient de dépasser les quartiers touristiques de la ville. Il s’est vidé des apprentis photographes et autres familles polyglottes, et ne compte à bord que quelques vieilles dames se rendant aux courses et une dizaine d’étudiants entre deux dissertes. A l’avant, un homme et une femme se font face. Elle est assise dans le sens de la route. Lui, à rebours.
Elle sort de son sac une petite trousse en cuir et un tube de rouge à lèvres avec lequel elle entreprend soigneusement de se repeindre les lèvres. Le rouge carmin fait ressortir la pâleur hivernale de sa peau, puis ses yeux. Marron comme le bois brun…….. inondé de pluie.
Marron comme le fer ancien de la tour Eiffel. Marron comme des yeux. Un petit miroir de poche cache une partie de son visage, mais la vitre du bus la dévoile autrement. L’homme la dévisage. Son regard souligne les gestes qui eux mêmes soulignent les lèvres. La femme ferme dans un « clap » le miroir qu’elle glisse comme un billet dans la pochette en cuir. Avant qu’elle n’ait le temps d’en faire de même avec le bâton de rouge, l’homme hésitant, gigotant sur son siège : «  Vous permettez ? »
Après un léger sursaut, la femme regarde le bâton de rouge, regarde l’homme, regarde de nouveau le bâton, l’homme acquiesce timidement. La femme le lui tend, comme on offre un baiser, un chocolat. L’homme se retourne vers la vitre, s’en approche et recouvre lentement les lèvres qui rougissent  à leur tour. Fermant soigneusement l’ustensile il le rend. La femme le range dans la pochette, et la pochette dans le sac.
Les voilà tous les deux, face à face, les lèvres peintes de la même couleur, suivant du regard la ville qui se dérobe. Un léger pli fait sourire leurs joues.

31 janvier 2011

la position allongée

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Ils, dans ce cas un homme et une femme, entrent dans la pièce. Elle est dix fois plus longue que toutes les pièces des habituelles maisons, c’est une pièce comme un palais. Au sol : du bois lisse, brillant légèrement à la surface, poli. Donnant au plafond les reflets de lumière.
Ils sont muets tous deux. Prennent soin de dérouler le pied à partir du talon, de telle sorte que le pied tout entier, au plus large, épouse le sol avant de le quitter de nouveau pour avancer.
Il, descend le premier, projetant des mains fortes sur le bois, posant le genou, appliquant le torse, puis se retournant en roulant de façon à avoir les yeux face au plafond, dont on ne dit rien. Elle, l’évitant d’abord,  ne trébuchant pas, descendant de la même façon, paumes fragiles, genou, cuisse, torse. Elle s’allonge sur le bois, les yeux face au plafond, sa joue gauche collée à celle de l’autre, son oreille aussi, sa tempe. Plus sa tempe que sa joue, finalement. Mais leurs jambes partent à l’opposé, un corps au sud, un corps au nord. Ils restent comme cela quelques minutes, et le silence devient une musique sourde. C’est elle, la première, comme brulant d’impatience ébouillantée par la certitude du présent, elle ouvre la bouche d’abord et commence à parler. Leurs positions respectives font qu’ils ne se voient pas. Ils s’écoutent. Se disent ce qui depuis des semaines entières restait coincé dans leurs gorges, handicapant leurs gestes, faisant de leur désir un objet encombrant. Très certainement beau, cela ne gâche rien, mais un peu lourd à leur goût. Alors, ils le prononcent comme on éculer un bateau. Alors ils placent dans cette immense salle une offrande de leurs mots, et la salle d’abord vide, d’abord sans sens, simplement recouverte de bois, se remplit et devient une surface accueillante. Fameuse pellicule sensible. Il n’est pas interdit qu’en les laissant encore des heures qui deviendraient des jours,
ils ne finissent par danser.

 

les petits gars de Séville

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Depuis 18 heures, les bars à tapas -  qui n’avaient de toutes façons pas désempli- se gonflent de monde. Hommes et femmes au comptoir, grignotant quelques olives baignées dans l’huile, quelques morceaux de fromage  et sirotant le vin rouge du bout des lèvres, en souriant. Ou bien, l’autre formule, toutes sortes de fritures dorées et reluisantes, exagérément salées qui sont un prétexte sans pareil pour des bières extra fraiches, avalées au gobelet et renouvelée aussi tôt terminées. C’est le soir. Quelques façades des boutiques sévillanes sont encore allumées comme ce vieux tailleur,  qui cout et repasse nuit et jour. Ou cette femme  sans âge qui vend des billets  pour la loterie nationale en cette période de Navidad. La place grouille. Il fait encore frais. Le printemps n’est pas là, mais les gens sont dehors. Un châle passé sur les épaules, rendant hommage aux clichés de l’Espagne fêtarde, la mélancolie se mélange aisément à la débauche. L’agitation fait suer les lampadaires, un ballon rouge s’envole, quelques airs flamenco ravissent les touristes oreilles. Et Deux mômes sont assis à même le sol poussiéreux. Ils ne voient que les pieds. Ils poussent deux voitures dans un circuit dont ils sont seuls à se figurer les virages. Ils ajoutent les bruits qu’il faut, se chamaillent une accélération, un dérapage. Ils sont petits et simples. Leurs parents sont là, alentours. Une place entière, une ville en fête veille sur eux. Légèrement à l’écart, un homme les rejoint. Aussi tassé soit-il sous ses quatre vingt ans, il est plus grand qu’eux et les regarde de haut. Il est rêveur. A cet endroit précisément, un peu plus à gauche, un peu plus à droite, il avait lui aussi, un de ces soirs espagnols, fait rouler des petites voitures imaginaires dans des circuit pas beaucoup plus réels. Au temps télescopé, au rallye quatre roues, les petits gars de Séville, rendent un fervent hommage.

 

d'un endroit à un autre

Puisqu’il fut plus tôt question de partir, puisque que quelque chose de vital les y a poussés, alors ils galopent.
Leurs rayures noires et blanches se mêlent et dessinent de drôles de formes géométriques. Les lignes sont flouées par le mouvement.
Ils sont mille, ils sont cent, ils sont dix mille, c’est impossible de dire combien. Il faudrait dire leur poids plutôt que dire leur nombre. Les muscles qui font leur poids et se contractent pour les faire avancer.
Ils font trembler la terre.


Il est certain qu’à plusieurs kilomètres, d’autres, plus petits ou plus menaçants au contraire, sont avertis de la migration de ces animaux magnifiques.
A leur passage, cela s’est déjà vu, la terre qui est rouge ici, se soulève dans des nuages de colère ou de peur, alors que la terre, n’a de raison ni pour l’une ni pour l’autre. Quelques petits, zèbres rayés mais plus finement, le corps un peu gauche, le galop pressé et le museau toujours fourré dans le flanc d’un plus grand, il y a quelques petits comme ça. Auxquels il convient de faire très attention, car s’ils prenaient du retard, vous savez, c’est comme partout, dieu sait par qui il serait rattrapé.

C’est un après-midi dans la savane. Où le ciel a retrouvé bientôt le rouge exangue de la terre. Aux zèbres, à leur masse, se joindront peut être d’autres espèces. Elles viendront faire enfler le bruit du galop, qui répète on arrive, faîtes une place, amenez l’eau, car on arrive. Cette rumeur répétée car l a toujours, toujours, été question de se rendre d’un endroit à un autre.

 

si les manteaux piqueurs

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Si t’as les yeux ouverts,
c’est déjà qu’il fait beau
que les manteaux piqueurs s’exercent sur ton trottoir.

Depuis des mois, dans la boue de l’automne, dans la neige de janvier, dans la terre sèche du mois d’août, des hommes ont d’abord ramassé les herbes hagardes et les gravats, seule végétation de ce terrain laissé vague, cela fait plus de quinze ans. Puis d’autres hommes, les mêmes peut être, sont venus en camion, on fait grimper des grues, ont mis en marche des bétonneuses, ont monté des grillages tout autour du terrain, ont accroché des panneaux, des permis de détruire... Tous les matins, par la fenêtre, bien après que ton premier corps ne se soit étiré, tu les vois par la fenêtre : ils travaillent, cela s’appelle travailler. Ils ont des manteaux différents les uns des autres, et à l’inverse des chantiers que tu voyais enfant, ici ils n’ont pas de combinaisons similaires et kaki, rien qui les feraient appartenir à quelque chose de collectif.
Pourtant, à dix heures précises, lorsque ta cafetière à toi, refait passer du café chaud. Ils s’assoient un instant, cessent les outils bruyants, les font taire comme on tue. Ils s’assoient sur un morceau de grillage plié et, selon les cas, mangent un sandwich ou fument une cigarette. Si t’as les yeux ouverts c’est grâce à eux. A leurs manteaux chauds et dépareillés. A leurs marteaux piqueurs sur la chaussée.
Demain tu râleras une seconde avant de les rejoindre à la fenêtre. Toi qui spectateur ne voudrait pas que la tour en préparation ne se construise trop vite, ne voudrais pas que l’on supprime ton théâtre quotidien.
Si t’as les yeux ouverts, c’est déjà qu’il fait beau, que les manteaux piqueurs s’exercent sur ton trottoir.

 

12 janvier 2011

ce qui d'avance console

Elle est juchée sur la pointe des pieds. Reste perchée et comme l’oiseau refuse de descendre. Elle est de dos. Sa colonne vertébrale est encadrée, littéralement encadrée par de longs muscles qui la maintiennent et la dessinent. Nu jusqu’à la taille. L’homme lui passe délicatement le bras dans la manche droite. En soupèse le poids. En empoigne la chair. Elle est toujours de dos, ce que l’on perçoit de son visage se résume à un morceau de joue, bombée dépassant du profil, et encore, l ‘on est devin. Il passe son deuxième bras dans l’autre manche, pliant lui même le coude, comme on ferait d’un enfant, d’un pantin. Elle n’est plus l’un certainement pas l’autre. Vivante sur pointes de pieds. Mollets tendus ventre tendu et nuque molle. Le tissu est béant et recouvre maintenant les flancs, laissant entre les boutons non encore attachés, la peau, mi soyeuse mi rêche, matière encore accrocheuse de la sortie du bain. Il ferme le premier bouton. Ses mains froides la font tressaillir un brin, puis plus rien. Silence des corps et concentration ultime pour le second bouton, le troisième, le dixième. Cette robe n’est que boutons de dos et ce qui tout à l’heure l’avait effrayé, muscles tremblants et doigts malhabiles, le rend, là, joueur sublime, insoumis à la pesanteur.  Elle,
se prête au jeu. Devant la vitre immense, précédée d’une table où refroidissent des tasses de thé et de café, où patientent quelques fruits,  où se consument encore deux fins de cigarettes. Ils sont deux, vraiment deux. Il regrette d’arriver bientôt au dernier bouton qui finira de recouvrir son dos et refermera comme la robe, la parenthèse ouverte par ces quatre dernières heures. Mais elle finira bien par redescendre, de nouveau pied à terre, finira bien par se retourner et cela, cet unique présage, la promesse du visage de nouveau offert, vaut mieux que consolation.

 

piéta sans larmes et vieux mascara

Et cette cheville droite, cette cheville droite… trop joufflue, pas assez cheville, portant trop bas le poids du mollet. Ne se dessinant pas,  ne répondant pas à ce que l’on attend d’une cheville normalement.
Et ce genou gauche, et ce genou gauche. Pas assez rond ni menu. Ni celui de Claire, ni celui de personne. Le genou  ne va pas non plus.
Et mon ventre tu l’aimes mon ventre ? et mes seins ? Et la peau de mon cou ? Si belle il y a vingt ans dans un rayon de lune. Si offert, si lisse, menant si bien au début du visage. Tu l’aimes la peau de mon cou ?

Face au miroir, un long t-shirt blanc pour chemise de nuit. Défaisant les boucles d’oreilles, défaisant l’apparat qui détourne les yeux des ridules et  des taches, elle tremble ces cinquante ans.
Y’a vraiment pas de quoi pourtant. Simplement c’est vrai que les contours n’y sont plus tout à fait règlementaires. Pas aussi parfaits que le voudraient les grandes affiches. Pas aussi réussis que promettaient les annonceurs.
Une femme de cinquante, quoi, qui a aimé, qui a couru, qui a fait des enfants, et qui s’est assise, il y a peu // pour souffler.
Qui a demandé au miroir, si oui ou non elle était encore la plus belle, et a laissé au miroir le soin de la réponse, alors que le miroir… ne sait pas, lui. Le miroir se plante, toujours. Ignorant. Rendant aux choses leur plat reflet. Le miroir a dit non. Ca fait longtemps que tu n’es plus la plus belle, bien longtemps. Et bêtement, elle a cru. 
Elle est debout devant. Immaculée dans cette chemise informe, Pieta sans larmes. Vieux mascara. Epuisée de sa lutte avec le temps qui passe, et au risque de la contredire,

elle est magnifique.

 

Charlie oh Charlie

Charlie a quarante ans depuis deux mois. Charlie n’a pas de femme attitrée, personne qu’il peut en tout bien tout honneur présenter à ses oncles. Pas d’enfants non plus, ce qu’il ne regrette guère. Charlie tourne treize fois sa langue dans sa bouche avant de parler, parce que sept, au final, ça fait peu et ne met pas à l’abri d’une bourde. Charlie a pris part sans une certaine lassitude aux fêtes familiales, s’est assis, comme les autres, autour de la table décorée. A défait le petit ruban qui tenait son menu, a lu le menu qu’il connaissait par cœur, puisque ses tantes le lui avaient récité de long en large, depuis le tout petit matin. Il avait mangé les coquilles Saint Jacques en hochant de la tête chaque fois qu’un des convives prononçait le mot « goutu » ou « divin » ou « tout simplement succulent » et il en avait fait de même lorsque le foie gras lui fut présenté dans une coupelle d’argent.
A l’heure des cadeaux, il avait pris soin de placer ses vieilles charentaises, gardées plus pour l’humour que pour les pieds, sous un sapin qui battait déjà de l’aile. Et à l’heure des cadeaux toujours, son cœur s’était mis à cogner un peu plus haut, un peu plus fort qu’à l’habitude… Il avait déballé un paquet anormalement longiligne. Sorti une guitare électrique. Rouge s’il vous plaît. Signée d’un éclair pour que l’ensemble des clichés soit réuni. Avait passé la sangle derrière ses épaules, et devant les yeux ahuris de l’assemblée très rangée, s’était mis à mimer un solo endiablé, électrique, fou, partition imaginaire et inaudible qui aurait fait se dresser sur la tête, les cheveux de quelques uns qui le regardaient tout sourire.
Charlie, quarante ans depuis deux mois. Pas de femme attitrée, pas d’enfant, ce dont il se plaint guère. Mais une guitare électrique, waouh, glissé par un lutin, qui a en croire les yeux bulles de Charlie, fut divinement inspiré.

 

C A R M E N ( librement inspiré de la chanson éponyme de l'ami Weli Noel )

Carmen est assise sur une chaise en plastique près de la fenêtre. Un débardeur jaune lui ceinture la taille et les seins, au point qu’on ne sait plus si le tissu habille la  chair ou l’inverse. Ses cheveux noirs et artificiellement lissés sont remontés dans une pince en plastique mauve. Elle a de bonnes joues qui se creusent lorsqu’elle fume avec gourmandise sur son joint  d’herbe. Son poste radio crachote des tubes en espagnol, aux batteries électriques et aux pianos tout aussi factices. Le short produit le même effet que le haut : c’est à dire : on ne sait pas qui recouvre qui. Les cuisses s’étalent sur la chaise en plastique et doivent coller. Elles sont prises de vagues de cellulite et rappelle les vagues de son île dominicaine natale. Les mecs passent et repassent, ne pouvant plus mettre un pied devant l’autre, tellement….. Carmen…. et ils soupirent…. Les rejetant d’un coup d’éventail, marmonnant quelques morceaux du refrain, poussant le poste plus fort lorsqu’ils s’approchent de trop, Carmen a fait une croix sur ces baraqués qu’elle appelle bambinos. Trop pressés, dit-elle, pas capable de vous jouer l’air qu’il faut à la guitare, ni de vous passer les bras, juste en dessous de la taille, pour une danse, une petite danse qui vrillerait la tête. Alors elle se vrille le crâne à la drogue douce, attendant que les baraqués ramollissent et
ne câline qu’avec alcaline…
Lorsque le soir arrive, que les ventilateurs travaillent à rendre l’air respirable, elle se poste devant la porte, sur l’escalier de trois marches. Roule le dixième joint du jour, repeint ses ongles de pieds de la même couleur que ses tongs en plastique, pour faire raccord. Ils passent, les hommes, ceux qui s’oublient le soir, la sifflent encore du bout des lèvres, mais y’a rien à faire
Carmen est un cas rare, Carmen est un cas louche.



podcast


 

 

 


 

05 janvier 2011

à ceux dont je n'ai pas l'adresse, voilà l'officielle carte.

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qui ment

 J’avais pas posé mes valises depuis trois quart d’heures à l’Hotel du lac, que je redécollais, bille en tête, sacoche croisant la poitrine, veste  en velours, pâtes d’éléphant, moustache et cheveux qui chatouillent les épaules, en route vers l’aventure. Derrière moi  j’avais laissé ma mère dans sa cuisine, ne terminant pas de me préparer un casse-croute pour le voyage. Je lui disais, maman ça va, j’ai vingt ans maintenant et Le Havre Paris, je devrais pas mourir de faim quand même. Mais elle faisait des petits pains, des petits tas avec les fruits, des petits paquets avec les gâteaux, et elle répétait que si je ne les mangeait pas dans le train, ce serait pas perdu de toutes façons.J’avais laissé ma mère dans la cuisine et mon père dans le salon. Fixant le poste de radio pour faire semblant que le son ça se regarde alors qu’un fils qui part ça se regarde pas.
J’avais laissé tout ça derrière moi et je remontais la rue Saint Denis. Les putes en fin de service me faisaient l’œil malin mais sans imaginer une seconde que je pourrais m’arrêter pour quoi que soit, je les aurais bien pris entre quatre yeux pour leur expliquer que j’étais plus puceau depuis des lustres, mais comme je n’en étais pas très certain moi même, j’ai pas osé.

fine cuisine

C’est exactement comme cela que cela s’est passé hier et à peu près ainsi que cela se passera demain. Et cet ingrédient précis nourrit l’amour.

 

les miettes

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Elle pousse la porte qui, aubaine, ne grince pas. Une sorte de pantalon lui sert de pyjama, et une chemise aussi mousseuse, même couleur, même matière, brodée de figurines japonaises, lui tombe sur les épaules.
Elle est petite. Elle a de petites épaules. Très douces et qui sentent l’amande. Elle a les cheveux emmêles, et un élastique pâle qui hier soir lui dégageait la nuque dans une très précise et gracieuse queue de cheval, pend ce matin, au bout  d’une mèche légèrement plus blonde que les autres. Avant elle avait des boucles. Avant quand elle est toute petite, petite, quand elle avait d’encore plus petites épaules.
Elle passe la première porte vitrée. Sur la table, on a regroupé la corbeille de pain, quelques couverts sales, un plat de clémentines, une boîte de chocolats. Truffés, mignons et rayés de blancs. Cela fait comme une colline de choses riches. Une petite colline d’enfants gâtés.
Elle passe son doigt dans la corbeille de pain, le porte à sa bouche, le mouille, repasse son doigt dans la corbeille de pain et ramasse ainsi l’ensemble des miettes. Pour ne rien quitter de ce qui dans vingt ans la laissera rêveuse et nostalgique. Pour mettre dans ses poches, le moindre souvenir d’un matin de Noel, alors que tout le monde dort, que les cadeaux faute de n’avoir pu attendre, furent déballés en hâte hier soir. Que la buée sur le vase trahit le froid de dehors et que le sapin clignote, clignote, clignote.

Comme ses yeux pas tout à fait, encore alourdis de sommeil. Comme son enfance, à demi passée, à demi  à venir. Clignote, clignote, comme les guirlandes tendues d’un poteau électrique à un autre, faisant de l’allée du village, une reproduction calme et à échelle d’enfant
des champs élysées les plus déserts.

 

 

 

 

 

l'irisé poney

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La salle des fêtes avait été décorée de ces choses qui se vendent par kit dans les grands magasins. Toute sorte de guirlandes, des motifs en papier brillant, du rouge, du violet, du fuchsia, de l’or surtout. Sur la petite estrade on avait monté une des grandes tables de la municipalité. Formica amélioré, rallongée pour l’occasion, qui servait aussi les jours de baptême, de réception du maire, de fête des anciens combattants et de gala d’école danse. Dessus, on avait disposé tout ce qui fait le bonheur du Disc Jockey itinérant, sans oublier évidemment, les triples lumières qui s’allume en fonction du rythme et propose multiples variations dans les mêmes couleurs que les décos grands magasins. Lorsque tout le monde eut fini le buffet des entrées, et pour être sincère n’avait plus du tout faim, le DJ passa en revue ce qui d’usage fait danser, jusqu’au madison où chacun mit le pied à la pate. Trois rangs plutôt bien formées, les femmes en première ligne, et les hommes, déjà un peu saouls, légèrement derrière. Faisaient semblant d’être malhabiles, faisaient semblant de ne pas avoir compris la chorégraphie basique, mais pouvaient de ce fait, jaser, singer, jouer la bousculade et le déséquilibre. Tout le monde se rassit, les plats s’enchaînèrent, Gilbert Montagné chanta Les sunlights, on vidait avec application l’ensemble du stock de bouteilles compris dans le forfait, et on chantait parfois.
Peu après minuit, quand quelque chose retomba, quelque chose de la fatigue accumulée, on se retournait vers le fond de la salle, éclairée au stroboscope, pour découvrir un petit corps qui dormait là, tranquille, emmitouflé dans des manteaux trop grands. S’était laissé bercé par toutes ces voix d’adultes. Même les douze coups de minuit sonnés dans l’excitation, ne l’avaient pas sorti du sommeil impeccable dans lequel il avait sombré. Il y gambadait sur le dos d’un poney plastique à la crinière irisée, récemment durement acquis sous le sapin, et parfaitement conforme à celui qu’il avait commandé.

 

03 janvier 2011

FAIRE VOEU

 

 

 

 

 

DE

TOUT

BOIS

28 décembre 2010

juste là

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07 décembre 2010

mais pour où ?

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Le couloir est très propre. Rien devant rien derrière. Rien sur les murs qui pourraient distraire…que du crépi beige tirant sur le saumon. Odile marche, met un pied devant l’autre avec une application déconcertante. Elle compte ses pas. « Et de trois, suivi de quatre, et de vingt sept et de vingt huit ». Lorsqu’elle touche la porte qui ferme le service, ne tente pas de la pousser ni de passer un œil dans la vitre brumeuse, fait simplement demi tour et recommence le compte. Elle présente sereine et souriante et entremêle maintenant ses chiffres de petites comptines dont elle semble aller chercher les mélodies au plus profond derrière le crâne, dans la piscine sans fond de la mémoire. Très très loin, il y a mille ans. Elle porte cette robe de chambre mohair qui commence à faire sa réputation, ses cheveux sont bien coiffés et sa peau est encore lumineuse malgré les nombreuses marques du temps.  « Trente sept, trente huit » compte-t-elle, toujours sûre de ses deux pieds. Alors une jeune femme entre dans le couloir, son âge divisé en quatre. « Bonjour Odile ». Quelque chose se trouble dans le regard de la vieille femme. Elle s’approche. Passe une main sur le visage lisse de l’infirmière qui ne bouge pas. S’approche d’avantage, caresse de nouveau la joue, et le corps de la jeune femme s’est arrêté de bouger comme pour ne pas empêcher le retour fulgurant d’une mémoire qui n’a plus aucun ordre. Odile parle maintenant dans son menton, rien n’est audible sinon une liste de prénoms féminins qui ont remplacé les chiffres des pas. Alors que la lumière automatique du couloir vient de s’éteindre, elle pose sa tête et ses cheveux blancs comme la neige sur la poitrine rebondie de l’infirmière de garde.
Et puis tout sourire elle s’en va.

 

pointillés de démarcation

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Une étendue sèche. Immense. Avec horizon mais sans aucun relief en dehors des cabanes de taule ondulée. Des cabanes sur lesquels on accrocha en hâte et au fil de fer des pancartes rouges et blanches, coca cola forever everywhere, pour toujours buvez frais. J’invente.


Deux hommes sont assis devant l’une des cabanes. Les fesses maigres sur un bidon de plastique. Le bidon est vide et attend les prochains passages des camions bringuebalants pour se remplir de fuel, pas gratos mais presque. Sorte de pourboire pour passer la frontière. Sorte de denrée rare qui sera revendue au compte goutte un peu plus à l’intérieur du pays, ou servira bêtement à faire marcher les mobylettes, qui ne me demandez pas comment, ont atterri ici, entières et valides.

Les deux hommes ont des casquettes en toile sur le crâne, une moustache correctement taillée tout autour de la bouche, et des joues qu’ils ont rasé avec un peu d’eau et du savon, devant un rétroviseur, lui aussi attaché au fil de fer sur la paroi du cabanon. Les deux types se parlent, ou font glisser de leurs poches à leurs lèvres des cigarettes très sèches. Alors ils suivent la fumée des yeux. La fumée vagabonde qui passera l’air de rien d’un pays à un autre, puisque c’est une frontière qui se dessine invisiblement à l’horizon.

La fumée, qui fera comme l’oiseau blanc, planant juste au dessus des lignes que les hommes ont tracé, lignes qu’il faut survoler pour en croire ses yeux.


Faire


comme

l’oiseau.

 

faudrait les voir sauter

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Une seule route mène à la vieille ville et au port de Dubrovnik. Une seule route bordée de criques invisibles. Difficiles à atteindre et sans plages aucunes sinon les plateformes en béton, construites à même les falaises, conçues comme des paliers, des excroissances perpendiculaires.  Trois jeunes hommes sont debout sur l’une d’entre elles. C’est assez haut.
L’eau, si l’on pique du nez. L’eau, si l’on ravale son vertige comme un cachet ma dégrosse, l’eau est d’un bleu inconnu au bataillon. L’eau est turquoise comme sur les photos promesses. Les trois gaillards ont peu ou prou le même corps élancé. Les muscles saillants et recouverts d’huile solaire. Ils ont pile poil dix huit ans, quelques chicots en moins sur les mâchoires. Une chaine en or suit le dessin des quelques poils qui ornent leurs torses et au bout de la chaine, un christ, presque deux fois leur âge, sur une croix. On sait comment, on sait pourquoi.
Sur le béton leurs trois serviettes sont alignées, détrempées et solides à cause du sel. Elles sont criardes de couleurs et affichent trois princesses, comme ils disent, en maillots elles aussi, mais pas en relief. Au bout des serviettes et en guise d’oreillers, trois sacs à dos, qui auraient pu, vue l’heure et le jour, être des sacs d’école… mais on repassera pour les détails. Les trois gars s’élancent sûr d’eux, lents, faisant s’étirer le temps aussi élastique que les chewing gums qu’ils écrasent un par un sur la roche. Faudrait pas les avaler quand même.
Ils se regardent. Arrivent au bout du carré de béton. Leurs orteilles mordent dans le vide. Le premier embrasse son petit Jésus, le second idem, le troisième itou. Rendent les choses importantes et solennelles. Font le décompte, écartent les bras en croix, trois, deux, un...